Je m’appelle Erica St Gilles.
Ce nom, ce n’est pas celui que j’ai reçu à la naissance. Cette vie, ce n’est pas celle que j’avais prévu de vivre. Tout m’a été retiré à l’instant où mon chemin a croisé celui de Callum Carver.
Callum côté face : bel homme, très riche, drôle et cultivé. Callum côté pile : un sadique manipulateur qui a pris plaisir à m’isoler des gens qui m’aimaient pour mieux me torturer, psychologiquement et physiquement. Callum, que j’ai fui en emportant une partie de sa collection d’objets magiques — dont l’épée.
Je laissai mes doigts courir sur la lame et sentis le métal frémir.
L’épée reposait sur mes genoux, et sa présence m’enveloppait comme celle d’une amie.
Quand j’avais décidé d’emporter cette épée dans ma fuite et ma nouvelle vie, je pensais qu’il ne s’agissait que d’une antiquité. La collection de Callum contenait beaucoup d’artefacts magiques, mais aussi de simples objets anciens sans pouvoirs particuliers. J’y avais cru, jusqu’à ce qu’une walkyrie se présente à la porte de mon night-club, pour réclamer son bien.
Je possédais l’épée d’une déesse nordique.
Rien que ça, c’était une raison de considérer l’objet avec révérence. Mais il y avait plus.
D’après mon ami Britannicus Watson, l’épée m’avait choisie. Elle avait jeté son dévolu sur moi, plutôt que de retourner dans le giron de sa légitime propriétaire, la walkyrie.
Je refermai les doigts sur le pommeau, et brandis l’épée devant moi. Une simple pensée de ma part, et des flammes enveloppèrent la lame, comme un lance-flamme au milieu de ma chambre.
Avec cette épée, j’avais combattu la walkyrie. Avec cette épée, j’avais gagné. Et avec elle…
La vision de la tête de la walkyrie, roulant sur le sol, s’imposa à mon esprit. Les flammes redoublèrent d’intensité, puis disparurent. Je chassai la vision comme une mouche importune. Entre l’enfer que mon ex m’avait fait vivre pendant deux ans et les combats insensés contre la walkyrie, j’avais plus que ma part de flash-back. Le tout était d’apprendre à faire la différence entre le stress post-traumatique et la réalité. La proximité de l’épée m’y aidait toujours. L’activité physique ne faisait pas de mal non plus.
Je replaçai l’arme dans sa vitrine, à la tête de mon lit, et quittai la chambre. Au milieu du loft un sac de frappe pendait à une poutre. Je tendis la main vers mes gants de boxe abandonnés sur la commode, quand mes doigts s’égarèrent sur la brosse à cheveux posée à côté. Cette brosse — bois de rose et poils de sanglier — je ne la possédais que depuis une semaine. Mon ami Britannicus me l’avait offerte après notre victoire sur la walkyrie. Pas très guerrier comme cadeau, mais pourquoi pas ? J’avais mis ce choix sur le compte de l’excentricité du sorcier britannique. Tout comme l’étrange requête qui l’avait accompagnée : que je n’utilise désormais que cette brosse, et que je compte les cheveux que j’y perdais.
J’attrapai la brosse d’un geste brusque et la passai sur mes cheveux bruns. Je brossai dessus, je brossai dessous, je brossai dans tous les sens. Puis j’allumai une lampe d’appoint pour examiner les poils de sanglier : pas un seul cheveu perdu. Pas un, en une semaine. Soit c’était la pire brosse jamais créée, soit il se tramait quelque chose de pas naturel. Et connaissant ma vie, je penchais vers la seconde explication.
Je reposai la brosse et décrochai mon téléphone.
— Watson Conseil, annonça Britannicus.
Impossible de faire erreur, son accent british était reconnaissable entre tous.
— « Conseil ? » dis-je. Tu te lances dans les affaires ?
— Erica, quel plaisir ! Que puis-je pour toi ?
— C’est cette histoire de brosse à cheveux, dis-je.
— Hum-hum.
— Brit, c’est quoi cette embrouille ?
— Peux-tu m’en dire plus ?
— Écoute, j’ai accepté ton cadeau parce que tu m’as promis qu’il n’avait rien de magique. Mais si tu m’as entourloupée…
— Non, non, je t’assure. J’ai même le ticket de caisse de la parfumerie dans mon cahier de comptes. C’est une brosse tout ce qu’il y a de plus normale.
— Alors dans ce cas, tu peux me dire pourquoi je n’ai pas perdu un cheveu depuis que je l’utilise?
— Tu es sûre ?
Je ne voyais pas Britannicus, mais je venais de sentir son humeur changer du tout au tout, comme un ciel d’orage. Je réprimai un frisson :
— Certaine. Ni sur la brosse, ni sur l’oreiller, et pas non plus dans la douche. Je ne me plains pas, hein. Ta brosse me fait le poil souple et brillant, et bientôt je vais pouvoir faire concurrence à Matteo niveau crinière de luxe. Mais j’aimerais comprendre.
— Il vaut mieux que je t’explique ça de vive voix.
— Je t’écoute.
— Non, vraiment, il faut qu’on parle face à face.
— Là tu m’inquiètes.
— Je peux passer te voir, avant l’ouverture du club ?
Je consultai l’heure et poussai un juron :
— Bordel, je suis en retard !
Je réfléchis à toute vitesse. J’avais vraiment très hâte d’entendre les explications de Britannicus, mais je devinais qu’il fallait que cette discussion se déroule au calme.
— Je reçois des candidats pendant les deux prochaines heures, dis-je. Tu passes après ça ?
— Quels candidats ?
— Pour remplacer…
— Oh. Agathe ?
— C’est ça.
Britannicus resta silencieux quelques instants.
Agathe était ma précédente barmaid. Jusqu’à ce que la walkyrie ne l’assassine. Agathe était aussi une dryade joyeuse et pleine de vie, une employée modèle, et si je l’avais laissée faire, une amie fidèle. Personne ne pouvait la remplacer. Mais quelqu’un devait passer derrière le bar de mon club.
— Bon courage, dit simplement Britannicus.
Je vérifiai mon apparence dans le miroir avant de sortir. Je n’avais pas menti en disant à Britannicus que mes cheveux n’avaient jamais été aussi beaux. Bruns, brillants, ils ondulaient jusqu’à mes épaules comme une crinière précieuse. Mon visage, par contre, n’avait pas le même éclat. J’avais les yeux cernés, et je me trouvais trop pâlichonne. J’avais presque trente minutes de retard, et mon impulsion initiale était de me précipiter au sous-sol pour accueillir les candidats. Mais je me ravisai : la première impression comptait, surtout dans une relation de travail. Je ne pouvais débarquer avec mes cernes et mon t-shirt froissé. Je pris donc le temps d’enfiler un chemisier un peu classe, de me maquiller, et même de chausser des talons aiguille. Voilà. Comme ça, je ressemblais à une propriétaire de night-club. Restait à descendre les escaliers sans me casser la figure.
Trois candidats m’attendaient au rez-de-chaussée, assis sur trois chaises pliantes alignées dans l’immense hangar. À califourchon sur une quatrième chaise, mon videur, Nate, les observait en silence. Bâti comme l’ours qu’il était quelques nuits par mois, avec ses longs cheveux blonds retenus sur la nuque, il avait l’air renfrogné d’un Viking privé de pillage.
Les candidats semblaient mal à l’aise sous le regard scrutateur de Nate. On aurait plus dit des accusés en attente de jugement que des candidats à un entretien d’embauche. Il était temps que je mette fin à leur épreuve.
Les lectures de Pumpie et cie dit
Bonjour,
J’adore, j’ai hâte de lire lansuite des aventures d’Erica.
Bonne journée
C. C. Mahon dit
Et j’ai hâte de vous la présenter!