C. C. Mahon

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Le Codex de Paris – chapitre 1

29 mars 2025 By C. C. Mahon

Paris, rue de la Petite Truanderie la bien nommée. 

Roulé en boule sur le trottoir, le gosse couinait comme un porcelet. Il puait le sang et la pisse, et je commençais à en avoir marre. 

Il faisait nuit depuis des heures et le quartier des Halles courbait le dos sous la pluie. Les rues étaient désertes, à part l’occasionnel clochard endormi sur une grille de métro.

— Répète ! grondai-je.

— Je… Je dois quitter le quartier, dit-il, trois octaves trop haut et en postillonnant.

C’était pas de sa faute. Je lui avais sans doute pété quelques dents de trop.

— Quand ? fis-je.

Le gosse gémit — pas la réponse que j’espérais.

Je me baissai pour l’attraper au col, et le soulevai de terre.

— Toi et tes potes, vous quittez le quartier cette nuit, dis-je. Ici, c’est chez monsieur Mathieu, maintenant. Si tes potes et toi revenez dealer sur son territoire, vous savez ce qui vous attend.

Je lâchai le gosse, qui retomba sur le trottoir telle une poupée de chiffons puants. Il se recroquevilla, comme si la protection de ses bras pouvait m’empêcher de lui tordre le cou. J’aurais pu le tuer sans froisser ma chemise. Mais je voulais qu’il aille prévenir ses copains dealers : ce territoire appartenait désormais à Mathieu, et Mathieu ne tolérait aucune concurrence. 

Je tournai les talons et repartis d’un pas tranquille. L’asphalte luisait sous une pluie fine et têtue. Je pris la rue à gauche, vers la Seine. À presque quatre heures du matin, Paris était désert. J’avais intercepté le gosse alors qu’il venait de boucler sa dernière vente de dope, un beau paquet de billets dans une poche, et plus une seule dose de drogue dans l’autre. La liasse reposait désormais au fond de ma poche. Mathieu me forçait à faire son sale boulot gratos. Il aurait pu me payer — il en avait largement les moyens — mais il aimait m’humilier. Avoir un vampire à sa botte, ça le rendait tout chose.

Il aurait aussi pu intégrer le gosse et ses amis dans ses équipes de vente, au lieu de les chasser comme des malpropres. Les petites gens ne lui servaient qu’à essuyer les semelles de ses chaussures italiennes. Ça lui jouerait un tour, un de ces jours.

Je marchai sous la pluie, jusqu’à la rue du Louvre. J’étais trempé, et il faisait froid. Mais ce qui me mettait en rogne, c’était l’idée que Mathieu allait continuer à m’utiliser pour ses basses besognes. Malheureusement pour moi, ce sale type n’était pas un imbécile. Si je voulais mettre fin à son petit chantage — et je le voulais — j’allais devoir me donner un peu de mal.

Je passai à côté de la Halle au Blé, bâtiment rond et trapu recroquevillé sous la pluie froide. J’arrivai au coin de la rue de Rivoli et m’arrêtai. C’est là que je m’étais installé il y avait un peu plus d’un siècle, dans la cave d’un bâtiment haussmannien à l’époque flambant neuf. En poussant la lourde porte de l’immeuble, je songeai au verre que j’allais m’offrir pour effacer les affronts de cette nuit.

Je croisai Romane dans le hall de l’immeuble.

Elle portait une tenue de sport — probablement en coton bio équitable — sous sa parka que j’imaginai en plastique recyclé. Elle avait attaché ses cheveux blonds en deux petits chignons qui la faisaient ressembler à un diablotin sportif et souriant.

— Mademoiselle Bourgeois, marmonnai-je sans m’arrêter.

Mon verre m’attendait. Mais Romane ne me laissa pas m’en tirer à bon compte. Si je l’envoyais bouler, les réunions des copropriétaires (à savoir : Romane et moi) allaient devenir encore plus inconfortables.

— Rohh, ça va, fit-elle, tu peux m’appeler Romane. Après tout, on a presque le même âge.

Romane avait 19 ans. Moi… un peu plus. Mais bien sûr, ça faisait quelques siècles que je ne faisais plus mon âge. 

Les parents de Romane étaient morts au printemps précédent. La gamine avait hérité de l’immeuble et de ses locataires — à l’exception de ma cave, dont j’étais propriétaire. Depuis, elle jouait les logeuses modèles, les étudiantes modèles, et les jeunes filles modèles. Rien que d’y penser m’épuisait.

— Quelle heure il est ? marmonnai-je.

— Cinq heures et demie ! répondit Romane avec son sourire habituel. Tu rentres de soirée ? Tu es trempé comme une soupe.

Elle fronça les sourcils et fit un pas de plus vers moi :

— C’est du sang sur ta chemise ?

Je baissai les yeux. Oui, sur ma chemise détrempée s’étalait une tache rouge, cadeau du gamin que je venais de tabasser. Je refermai mon manteau.

— De la harissa, dis-je. J’ai mangé un kebab.

— Ça va laisser une tache.

— Probablement. Bonne journée.

Je voulus la contourner, mais elle s’écria :

— Je vais à mon cours de yoga avant la fac. Tu veux venir ?

Elle désigna les sacs qui pendaient à son épaule : une sacoche en cuir qui contenait généralement ses affaires de classe, un sac de sport en nylon rose fluo, et un sac oblong qui pouvait contenir… un fusil ?

— Et vous partez chasser après le yoga ?

Romane éclata de rire :

— Mais non ! Ça c’est mon tapis.

Quelque chose gratta l’intérieur du sac en question, et la fermeture éclair s’ouvrit lentement.

— Votre tapis veut se faire la malle, dis-je.

Romane poussa un cri et laissa ses affaires tomber sur le marbre du hall. Une boule noire jaillit du sac oblong avec un feulement sauvage.

— J’ignorais qu’on pratiquait le yoga avec un chaton, fis-je. 

Le chaton en question était à peine plus gros qu’une châtaigne, aussi noir que la nuit, et en pleine démonstration de colère. Dressé sur le bout des pattes, le dos arqué, ses minuscules crocs découverts, il crachait sa rage en direction de Romane. Celle-ci considéra l’animal comme si elle ne l’avait jamais vu puis, après quelques instants de confusion, s’accroupit avec un sourire :

— Mon petit minet, que fais-tu dans mon sac ? 

Elle tendit la main vers l’animal, qui recula et cracha de plus belle. Romane ne se laissa pas impressionner et poursuivit : 

— Je vais te ramener à la…

Romane plongea vers le chat. Le félin bondit par-dessus les mains de la jeune femme et s’élança vers son visage toutes griffes dehors.

Romane se jeta en arrière. J’attrapai l’animal au vol avant qu’il n’atteigne sa cible. 

Assise sur le marbre, au milieu de ses sacs, la jeune femme me dévisagea avec des yeux grands comme des soucoupes. J’aurais sans doute dû être plus discret. Ne pas la laisser voir ma rapidité. Trop tard.

— Waouh, beau réflexe ! souffla-t-elle. Merci.

— Vous êtes sûre que c’est votre chat ?

Romane se releva.

— C’est un vrai petit sauvage, dit-elle en riant.

Un bruit nouveau me fit tourner la tête. Le chaton était toujours suspendu au bout de mon bras. Mais au lieu de cracher ou de feuler, il ronronnait désormais. Huh. 

Je tendis l’animal à Romane. Dès qu’elle l’approcha, il feula de plus belle.

— Je vais le prendre comme toi, par le cou, décréta-t-elle. 

Dès qu’elle le saisit, le petit sauvageon se retourna, lui planta les griffes dans le poignet et lui mordit la main. Elle lâcha prise, et le chaton me sauta dessus. 

J’aurais pu esquiver, mais 1) je ne voulais plus attirer l’attention sur mes réflexes inhumains et 2) il me semblait évident que le chat ne me voulait aucun mal. Comme pour me donner raison, le chaton s’agrippa à l’avant de ma chemise, m’escalada comme un tronc d’arbre, et se percha sur mon épaule. Puis il recommença à ronronner.

— Ça doit être l’odeur du kebab, dis-je. 

Romane acquiesça en silence. Elle semblait tenir à ce chat plus que de raison. Peut-être avait-elle besoin de compagnie depuis la mort de ses parents ? Les humains supportaient mal la solitude, avais-je appris au fil des siècles. 

— Va à ton cours de yoga, dis-je. Je te le ramènerai quand il sera plus calme. 

Elle hésita, ouvrit et ferma plusieurs fois les mains, comme si elle songeait à attraper l’animal de force. Contre mon cou, le chaton cessa de ronronner. Romane lui déplaisait clairement.

La jeune femme nous suivit du regard alors que je descendais les escaliers. Mon bureau était au sous-sol de l’immeuble, dans une cave voûtée en pierre, avec ma chambre en enfilade. Dès que j’eus déverrouillé la porte, le chaton sauta à terre et disparut dans la pénombre de mon antre. Je reverrouillai derrière moi, suspendis mon manteau trempé, et me laissai tomber dans mon fauteuil. Je ne pris pas la peine d’allumer. Je ne me sentais pas d’humeur à affronter l’éclairage blafard du néon. 

Les murs de pierre pâle maintenaient une température constante chez moi. Comme une bonne bouteille de vin, je vivais à l’abri du monde extérieur. Au-dessus du sol de terre battue j’avais fait poser un parquet de chêne massif, que j’entretenais amoureusement. Sous ce plancher, les rats menaient leur vie. De temps à autre ils remontaient grignoter mes archives — à ce moment-là, je leur déclarais la guerre. Mon bureau et ma chambre regorgeaient de vieux papiers, dont je ne parvenais à me défaire. Romans de gare, coupure de presse, dossiers de clients morts depuis longtemps… Je gardais tout. Des meubles d’époques différentes — en bois massif, en métal, en contreplaqué — s’alignaient le long des murs. Sur certains, j’avais empilé des cartons jusqu’à la naissance du plafond voûté. Mon bureau trônait au milieu de la pièce, et là aussi, entre le téléphone en Bakélite et l’annuaire en papier, des piles de livres et de dossiers s’accumulaient au fil des clients.

Le grand tiroir au pied de mon bureau contenait une glacière. On peut dire ce qu’on veut des objets en plastique, mais elle fonctionnait parfaitement depuis 1962. Je lui avais appliqué un sortilège de froid le jour où je l’avais achetée, et je n’avais jamais eu de problème depuis. 

Je l’ouvris, attrapai une poche de sang et un gobelet en cristal. Je me servis un verre bien mérité. C’était la seconde fois en un mois que Mathieu m’envoyait intimider de petites frappes. Visiblement, il ne se satisfaisait plus de distribuer sa drogue dans ses nombreux night-clubs ni de la faire livrer par ses restaurants. Monsieur avait décidé de s’approprier la rue parisienne. Il chassait la concurrence par la force, un gang après l’autre. Je me tapais de savoir qui fournissait les camés de Paname. Mais je commençais à me lasser d’être manipulé comme une marionnette. Il fallait que je me décide à détruire ces maudites preuves. Bientôt.

Je vidai le contenu de mon verre, cul sec, et déclarai :

— Je vais me coucher. Tu peux chasser les rats autant que tu veux, mais n’approche pas ma chambre.

Le chaton ne répondit pas.


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Génèse d’une histoire

24 avril 2023 By C. C. Mahon 3 commentaires

Toute histoire a son origine. Cet article raconte l’origine d’une histoire d’origine. C’est moins complexe qu’il n’y paraît. Ou peut-être plus.
À vous de juger.

Le 3 juillet 2019, je suis tombée par hasard sur une couverture de livre « prête à publier » (comme du prêt-à-porter, mais pour les livres). J’étais sur le point de commencer le premier roman d’une nouvelle série, roman pour lequel j’avais déjà une couverture. Mais le design que j’avais sous les yeux était énergique, unique, et m’a immédiatement conquise. Seul problème: le personnage représenté était un homme. Jusque là je n’avais écrit que des personnages féminins, et je ne me sentais pas prête à me glisser dans la peau d’un mec. Sauf que je suis faible face aux belles couvertures (mes complices des Plumes de l’Imaginaire et notamment Charlotte Munich peuvent le confirmer). J’ai acheté la couverture, et j’ai commencé à créer le personnage qui allait avec. C’est ainsi qu’est né Germain Dupré, premier personnage de ma nouvelle série, Paris des Limbes.

Couverture du Codex de Paris

Six mois plus tard, je publiais le Codex de Paris, non sans sueurs froides: mon personnage masculin serait-il crédible? Et mes lectrices me suivraient-elles dans cette nouvelle série?

3 ans et une adaptation audio plus tard, je crois que la réponse est « oui ». Mais je n’en avais pas pour autant terminé avec ce roman. Un personnage secondaire réclamait qu’on raconte son histoire et ses origines. Je m’étais promis de le faire « un jour ». Quand les projets plus urgents m’en laisseraient le temps. Mais les projets n’en finissaient pas de s’enchaîner, et je ne prenais pas le temps. Jusqu’à ce que mon esprit se range du côté de ce personnage secondaire et refuse d’écrire quoi que ce soit d’autre.

J’ai essayé de forcer, décidée à écrire la suite d’Un Casse en Enfer comme promis aux lectrices. En vain, je n’arrivais à rien. J’ai dû céder. 

3 mois pour écrire ce petit roman « vite-fait », histoire de me le sortir de l’esprit, et je me remettrais sur des projets plus importants.

Le « petit » roman s’est doté d’intrigues et de points de vue supplémentaires pour devenir mon texte le plus long à ce jour.

J’ai décidé qu’en plus de l’aspect fantastique et de l’enquête policière, j’allais intégrer une romance — ma première.

Non seulement l’histoire allait se dérouler en 1900, mais les deux protagonistes viendraient de cultures différentes (rrom pour elle, japonaise pour lui). Tout cela allait demander un peu de recherche.

Quelques milliers de pages de documentation plus tard, les 3 mois se sont changés en 6, en 9, puis en 11.

Et je ne peux pas dire que j’ai procrastiné, ou que je me suis montrée fainéante. Pendant ces 11 mois, j’ai travaillé à temps plein sur ce roman. Je n’ai pas fait plus de recherches que nécessaire. J’ai même pu gagner du temps sur le volet japonais de l’affaire, puisque la langue et le folklore japonais sont le sujet d’une grande partie de mes études supérieures. 

Mais je me suis posé tellement de questions…

J’ai vécu assez longtemps dans Paris, mais la ville a changé depuis l’année 1900. J’ai consulté des plans anciens. Et comment rendre compte de la folie de l’Exposition universelle? Toute une série de romans ne suffirait pas. Pourtant, j’ai amassé assez de vieux guides et d’articles de magazines d’époque pour l’écrire, cette série.

Mais les plus beaux souvenirs de recherches, ce sont les romans de Matéo Maximoff. Cet auteur Rrom n’est malheureusement plus publié, et j’ai dû écumer les sites d’occasion pour me procurer quelques-uns de ses titres. Quelle belle rencontre! Il m’a fait découvrir une culture et un univers merveilleux, et je ne saurai trop recommander ses textes.

Une fois renseignée, il a fallu écrire.

Pour être exacte, ces deux processus (la recherche et l’écriture), je les ai menés en parallèle. L’intrigue dicte ce que je dois trouver comme information, mais ce que je découvre au fil de mes lectures ouvre de nouvelles perspectives dans lesquelles emmener mon histoire. J’ai planifié un roman. J’ai lu. J’ai amendé mon plan. J’ai encore lu. Ajouté une intrigue secondaire. Lu encore. Créé des listes d’événements, des tableaux chronologiques, et collé plus de fiches sur les fenêtres que je n’ose l’avouer. Ajouté un troisième arc narratif. Un nouveau point de vue. Fait de nouvelles recherches… pendant presque un an. 

Je me suis lancé des défis. Pour la romance, bien sûr. Mais aussi pour le personnage masculin et le — les — méchants de l’histoire. J’ai tenté quelques techniques d’écriture dans lesquelles il est facile de se prendre les pieds. 

Au 10e mois, mon texte « pesait » presque 100 000 mots.

Alors j’ai commencé à le retravailler. Trouver les incohérences et y remédier, développer les points que j’avais à peine esquissés, couper les passages inutiles ou redondants…

Le roman s’est un peu allégé. Je l’ai encore une fois corrigé. Relu une dernière fois. Et je me suis mise à la recherche de mes premières lectrices.

Depuis que j’ai commencé à publier, j’ai la chance d’avoir d’extraordinaires bêta-lectrices à mes côtés. Et cette fois comme les autres, elles ont répondu à mon appel. En 15 jours elles ont lu le mastodonte et fait remonter des commentaires de fond comme de forme.

Pendant qu’elles effectuaient ce travail de fourmi, je préparais une parution hors-norme. En plus des défis liés à l’écriture, j’avais décidé de proposer une édition grand format avec une couverture cartonnée, un verni sélectif, des illustrations pour les têtes de chapitre et au fil du texte. Bref, le grand jeu.

Dans une de mes précédentes carrières, je suis tombée amoureuse de beau travail d’imprimerie. En tant qu’autrice indépendante tributaire de l’impression à la demande, je suis toujours un peu frustrée. (Entendons-nous bien. L’impression à la demande représente une révolution, et sans elle je n’en serais pas là où je suis aujourd’hui. Mais parfois c’est bien de pouvoir fignoler une édition.)

Avec Le Palais des Illusions, j’ai voulu me — et vous — faire plaisir.

Mais bien sûr, cette version ne peut pas être proposée sur Amazon (encore une fois, pour la vente en ligne je reste tributaire de l’impression à la demande). J’ai donc organisé une campagne de précommande sur Ulule, tout en prévenant les lectrices et lecteurs: l’édition collector paraîtrait en avant-première, et une édition « normale » (au format poche de tous mes autres romans sur Amazon) suivrait deux mois plus tard.

« Deux mois plus tard », c’est le 15 mai.

Voilà, nous y sommes presque. Après plus d’un an de travail, de découvertes et de questionnement.

Dans Le Palais des Illusions, j’ai pris des risques. Celui d’écrire du point de vue d’une culture stigmatisée et marginalisée, une culture qui n’est pas la mienne. Ai-je rendu justice à Cali la jeune Rrom? Ai-je su rendre compte du choc inévitable quand les mondes nomades et sédentaires se rencontrent? Ai-je su éviter la généralisation abusive ou suis-je tombée tête la première dans les clichés? 

L’avenir me le dira. 

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Un Casse en Enfer: chapitre 1

21 février 2022 By C. C. Mahon

Le Midas du lait en poudre

Minuit.

Le Monoprix était le seul îlot de vie dans ce quartier parisien endormi.

Au-dessus du supermarché s’empilaient sept étages d’un immeuble de béton, laid et aussi avenant qu’un mur de prison. Une lumière jaune pisse filtrait entre les volets rouillés du premier étage.

Devant la porte en verre de l’immeuble, un adolescent boutonneux fumait une cigarette, l’air blasé dans son survêtement de marque. Zagan plissa le nez en traversant le nuage de fumée. Le gosse toisa Zagan, détaillant son costume de luxe et son écharpe en cachemire avant de tendre la main pour lui barrer le passage.

— T’es qui, et qu’est-ce que tu viens foutre ici ?

Visiblement, la haute couture italienne n’impressionnait plus.

— Zagan, président des Enfers. C’est pour un casse.

Le gosse fronça ses sourcils broussailleux et son menton fit un bond en avant.

— Kesstud… ?

Il jeta sa cigarette au sol et porta la main à sa poche.

Zagan l’attrapa à la gorge et le claqua contre le mur. Bruit clair d’une caboche vide contre un parement de pierre, et la sentinelle s’effondra comme un paquet de linge sale. Zagan rajusta le col de son manteau de laine vierge, enjamba l’obstacle, et pénétra dans l’immeuble.

L’ascenseur puait la clope, et Zagan regretta d’avoir eu la flemme de monter un étage à pied.

Dans le couloir, la moquette marron foncé était si élimée qu’elle n’étouffait plus grand-chose. Les richelieus de Zagan éveillèrent un écho mat, et une silhouette se redressa à l’extrémité du couloir.

Le type était à peine plus vieux que son collègue. De l’adolescence, il avait conservé une silhouette dégingandée et un visage marqué par l’acné. Il montait visiblement la garde, debout à côté d’une porte semblable à toutes celles de l’étage — métallique, bordeaux et percée d’un judas.

Comment ce gosse poussé en graine espérait-il empêcher quiconque d’entrer ? Zagan ne prit pas le temps de lui poser la question. Il claqua des doigts, et l’ado s’effondra à son tour.

Une pichenette ouvrit le vantail à la volée. Une exclamation sourde fusa, suivie d’un bruit de chute. Le guignol qui se tenait derrière la porte se l’était prise en plein nez.

Zagan enjamba le corps inerte et pénétra dans l’antre des trafiquants de drogue.

L’antre en question était un appartement vieillot et mal entretenu. L’air empestait le tabac froid et le fond de poubelle. Au sol, le Lino semblait jaune, à moins qu’il ne soit simplement sale. Plusieurs couches de crasse ornaient les murs. Sur la gauche, Zagan aperçut la salle de bain, qu’un malade avait un jour décidé de couvrir de moquette lie-de-vin du sol au plafond. Zagan pouvait comprendre qu’un tel décor pousse son occupant à la drogue. Même en enfer on n’aurait pas osé tant de laideur.

Un claquement retentit au fond de l’appartement : quelqu’un venait de renverser une chaise. Une fenêtre crissa. En trois enjambées Zagan rejoignit sa proie.

— Kevin Bernard ?

L’interpellé se figea, à cheval sur l’appui de fenêtre, et tourna un visage de fouine vers Zagan. Derrière sa frange blonde, ses yeux papillonnèrent un instant.

— Oui ? couina-t-il.

Il portait une tenue de sport, mais sa poitrine creuse et ses cannes maigres n’avaient probablement jamais pratiqué d’activité physique.

Zagan l’attrapa par le col et le ramena à l’intérieur. L’odeur de la peur vint se mêler aux parfums fétides de l’appartement.

— Il ne faut pas jouer au-dessus du vide, tu risquerais de te faire très mal.

Il reposa Kevin au milieu de l’appartement, entre le canapé défoncé et la table de cuisine sur laquelle s’empilaient des douzaines de briques de poudre pâle et mortelle.

— Alors comme ça c’est toi, le nouveau Cador de Paname ? fit Zagan.

— Le… quoi ?

— Le minable qui a décidé de se passer de ma protection, a rallié une bande de dealers à la petite semaine, a incendié mon night-club, et estropié mes hommes.

Un éclair de compréhension passa dans le regard de Kevin.

— Ah. Ça. Vous êtes monsieur Mathieu ?

— Il paraît, marmonna Zagan.

À dire vrai, Mathieu avait vidé les prémisses un an plus tôt, et Zagan se servait de son corps et de son identité.

— Ça fait un an, protesta le dealer. Vous n’êtes pas passé à autre chose ?

— Dix mois, corrigea Zagan. La vengeance est un plat qui n’a pas de date de péremption, comme vous aimez à le rappeler.

— Moi ? J’ai jamais…

— Les humains. C’est bien ce que vous dites, non ? « La vengeance est un plat qui…

— « Qui se mange froid, » compléta Kévin.

— Vraiment ? J’étais persuadé… Bref. Évidemment que je suis passé à autre chose. À vrai dire tu es le dernier de la liste. Maintenant je préfère tenir les gens responsables de leurs actions. C’est très satisfaisant, et bien plus rémunérateur. Et puis la drogue, c’est pas vraiment en accord avec le libre arbitre. Et je suis très « libre-arbitre ».

Le dealer lui renvoya un regard vide.

Comment ce type avait-il pu se hisser au sommet du trafic de drogue de l’Ouest parisien ?

J’ai éliminé tous les trafiquants compétents, et la lie est remontée à la surface. À propos de lie… Je m’ouvrirais bien une bonne bouteille en rentrant. Un rouge bien charpenté pour aller avec mon chocolat au piment.

— Euh… Monsieur Mathieu ? appela l’humain d’une voix tremblante.

À la mention de son identité officielle, Zagan sortit de sa rêverie.

— Oui ? Où en étions-nous ?

— Vous… alliez partir ?

— C’est ça !

Le soulagement déferla sur le visage pointu du dealer.

— Donc… Sans rancune ? fit-il. Puisque vous avez arrêté le trafic de drogue de toute façon…

Zagan soupira. Dans la poitrine de Kevin il pouvait sentir le cœur battre à toute vitesse, les artères déformées par la pression du sang.

Ces humains sont si fragiles. Une simple panne dans la pompe centrale, et tout est fini.

Il désigna la table de cuisine et les paquets de poudre entassés dessus.

— Tu sais ce que c’est ?

— Mon stock d’héroïne ?

— Plus maintenant.

— Vous… Bien sûr. Allez-y, prenez ce que vous voulez !

Zagan fit remonter son sourcil gauche vers la naissance de ses cheveux bruns.

— Moi ? Que veux-tu que je fasse avec trente kilos de lait pour bébé prématuré ?

Le dealer écarquilla les yeux, puis secoua la tête.

— J’vous jure, c’est de la première qualité !

— Plus maintenant. À partir de cet instant toute la drogue qui te passera entre les mains se transformera immédiatement en lait pour prématuré. C’est valable pour tes subordonnés, associés, et toute personne qui pourrait manipuler de la drogue pour toi. Tu connais Midas ?

— Les pots d’échappement ?

Zagan se massa les paupières. Ces humains l’épuisaient.

Il se tourna vers la table de cuisine et repéra la boîte à chaussures coincée entre deux tas de lait en poudre. Un signe de l’index, et les liasses de billets qu’elle contenait traversèrent la pièce jusque dans sa main.

— Merci pour ce don. J’ai aussi siphonné tes comptes à la Banque Postale. J’en ferai bon usage.

Kevin poussa un hurlement de bête blessée.

— Mon fric !

Mais déjà Zagan se dématérialisait.

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Paris des Limbes 2 – Un Casse en Enfer

17 janvier 2022 By C. C. Mahon

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