C. C. Mahon

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Rythme d’Enfer Chapitre 1

29 novembre 2018 By C. C. Mahon

Céleste avait garé sa Coccinelle un peu à l’écart de l’église. Alors que je considérais le bâtiment de bois blanc étincelant sous le soleil de mars, l’orchestre de jazz se mit en ordre de part et d’autre des marches, et une petite foule s’écoula lentement sur la pelouse. Céleste ferma la voiture à clé et prit mon bras sous le sien.

— Prête ?

Je hochai la tête.

Les premières notes de musique s’élevèrent. Sur le seuil de l’église, une femme brandit une ombrelle et commença à danser sur un rythme lent. Plusieurs personnes émergèrent à sa suite. De loin, il me sembla en reconnaître deux.

— Ce sont les serveuses du Belledeaux ?

— Oui, fit Céleste. Elles ont un air de famille avec Jazzmine, non ?

Je haussai les épaules. J’en savais trop peu sur mon amie Jazzmine.

Ma main trouva le bijou qui pendait à mon cou. La médaille de baptême de Maddie, pendue à la chaine en or de Jazzmine. Les deux femmes étaient mortes, toutes deux par la faute du démon Shaah. Je n’avais su aider ni l’une ni l’autre.

— Ça va aller ? demanda Céleste.

Elle resserra doucement son bras sur le mien, et je lui souris. Je n’avais pas perdu toutes mes amies.

L’orchestre se mit en marche, la procession à sa suite. Je reconnus une tête qui dominait toutes les autres : « Petit », l’immense cuistot du Belledeaux, était venu rendre hommage à sa patronne. Il n’était pas le seul.

— Ce sont les membres de sa krewe ? demanda Céleste alors que plusieurs dizaines de danseurs habillés de noirs sortaient à leur tour de l’église. De là où j’étais, je devinais leurs auras mêlées — violettes, mauve et bleu pâle. Des couleurs de tristesse. Certains swinguaient malgré leurs béquilles ou leurs bras en écharpe. Je revis les silhouettes paniquées des danseurs du Mardi gras qui sautaient au bas des chars pour échapper aux balles et chutaient lourdement, se bousculaient…

L’orchestre s’arrêta à quelques dizaines de mètres de l’église. La procession se mit en ordre et tout le monde se retourna vers les portes de l’édifice. Le cercueil de Jazzmine apparut, soutenu par une demi-douzaine de porteurs.

La foule se resserra pour l’accueillir, puis s’ouvrit comme la mer devant Moise pour laisser passer les porteurs. L’orchestre se remit en marche.

Céleste et moi suivîmes la procession de loin. Je ne connaissais pas assez Jazzmine pour oser me mêler à ses proches, mais je l’aimais trop pour ne pas lui dire adieu.

Un prêtre en grande tenue attendait près d’un caveau de pierre blanche. Les musiciens se mirent un peu à l’écart, sans cesser de jouer, et la procession se casa tant bien que mal entre les rangées de tombes surélevées. Puis l’orchestre se tut. Je restai en arrière et observai la cérémonie de loin, heureuse de pouvoir m’appuyer sur Céleste.

Quelques jours plus tôt, j’étais morte — pour quelques instants seulement, avant que les efforts conjugués des sauveteurs et de l’esprit qui me possède ne me ramènent à la vie. Mais même dopée à la magie comme je l’étais, j’avais du mal à tenir sur mes jambes, et mon cerveau était dans le coton. J’avais dormi pendant 48 heures à l’hôpital, et je ne m’étais jamais sentie aussi fatiguée. Voilà ce qui arrive quand on se retrouve entre un démon et le serpent géant décidé à lui faire la peau. Mais ce n’était pas suffisant pour m’empêcher de dire adieu à mon amie.

Je n’entendis pas le discours du prêtre. Des coups de feu fantômes résonnaient à mes oreilles, le décompte froid et régulier des détonations, les cris de la foule, le silence de mort qui avait suivi…

Le cimetière disparu, remplacé par les chars du Mardi gras sur l’avenue désertée, le trône doré de Jazzmine, et ses yeux ouverts et déjà vides.

— Ça n’aurait jamais dû arriver, murmurai-je.

— Tu as fait tout ce que tu pouvais. Et tu as sauvé beaucoup de vies ce jour-là.

— Pas assez.

Les porteurs avaient déposé le cercueil sur des tréteaux pour permettre aux vivants de faire leurs adieux à la morte. Je laissai passer les dizaines de personnes qui avaient connu Jazzmine avant moi. L’orchestre s’était regroupé dans l’allée centrale du cimetière, et la procession se reforma peu à peu derrière eux. Ils s’éloignèrent en silence, et j’avançai à mon tour. À côté du cercueil, un portrait de Jazzmine la montrait, souriante, dans une robe dorée, une couronne égyptienne sur la tête : c’était son costume de Mardi gras. Celui qu’elle avait confectionné avec application et porté avec fierté. Celui dans lequel elle était morte.

— Pardon, murmurai-je.

Des notes de musiques s’élevèrent dans mon dos et je reconnus le rythme enlevé. Oh when the saints go marching… J’essuyai mes larmes et fis demi-tour.

#

De retour près de la Coccinelle, Céleste déverrouilla le coffre avant et en sortit un sac plastique.

— Je t’ai apporté des vêtements de rechange, un téléphone portable et une carte prépayée. Tu vas pouvoir appeler tes parents.

Mon estomac se serra.

— Tu les as vus ? Ils vont bien ?

— Ils sont passés plusieurs fois sur le campus. Ils te cherchent. Ils sont inquiets, et rien de ce que je peux dire ne les rassurera. Ils ont besoin d’entendre ta voix.

Je sortis le téléphone du fond du sac. C’était un vieux modèle à clapet.

— Je te laisse, souffla Céleste.

Elle s’éloigna, et je me rassis dans le siège passager. J’ouvris le clapet, tapai le numéro de téléphone du magasin de mes parents, et soufflai un grand coup.

— Épicerie Devreaux bonjour.

— Papa ?

— Prudence ! Tu vas bien ?

Mon père chuchotait, mais son ton n’en était pas moins pressant.

— Tout va bien. Et vous ? Maman est là ?

— Elle se repose.

— À cette heure ? Elle est malade ?

J’entendis une porte se fermer et supposai que mon père s’était réfugié dans la réserve, comme il le faisait toujours quand il voulait passer un coup de fil personnel au magasin.

— Elle dort mal en ce moment. Elle s’inquiète.

Par ma faute.

— Papa je suis désolée. Je voulais vous appeler plus tôt, mais j’avais peur de vous causer des problèmes.

J’étais à l’hôpital, incapable de formuler une pensée cohérente.

— Ma chérie, reprit mon père, la police te cherche. Que se passe-t-il ? Après la fusillade du Mardi gras, nous nous sommes fait un sang d’encre. Tu nous as laissé des jours sans nous parler, et la police nous harcèle. Tu as des ennuis ?

— Je n’ai rien fait de mal, je te promets.

— Je te crois, mais ce n’est pas moi qu’il faut convaincre. Où es-tu ?

— Chez une amie, mentis-je. J’ai besoin d’un peu de calme.

J’ai exorcisé un démon et empêché un attentat à la bombe. J’ai failli perdre une oreille, et y laisser la peau. La police me croit responsable du meurtre de ma psy, et j’ai un serpent magique dans la peau — littéralement. Il me faut juste deux ou trois jours pour régler quelques détails…

— Rentre à la maison aujourd’hui. Ta mère a besoin de te voir. Et il faut que tu ailles parler à la police au plus vite. Nous avons engagé un avocat. Il t’accompagnera.

J’hésitai plusieurs secondes. J’avais autant envie de franchir la porte du commissariat de Lake Louis que de me jeter dans l’antre d’un dragon. D’après ce que Céleste m’avait rapporté de ses conversations avec les policiers de notre belle ville, l’inspecteur Moore — quand il était possédé par le démon Shaah — m’avait accusée de tous les maux, notamment de l’avoir manipulé pour qu’il abatte ma psy, et de planifier une attaque sanglante sur le défilé du Mardi gras. Si je passais la porte du commissariat dans un sens, j’avais peur de ne plus pouvoir la franchir en sens inverse.

— Parle au moins à maître Truitt, reprit mon père. Il saura te conseiller.

J’acceptai à contrecœur. Je savais bien que je ne pouvais pas fuir la police indéfiniment.

Je fouillai dans la boîte à gants, trouvais un vieux stylo et remontai ma manche. Sur la peau pâle, le dessin de mes serpents était à peine visible. Ils semblaient avoir besoin de repos après les événements de la semaine passée. Mon père me dicta un numéro, et je le notai sur mon bras.

Je promis d’appeler l’avocat et raccrochai, le cœur fendu de ne pouvoir rentrer chez moi immédiatement.

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Le Carnaval du Démon Chapitre 1

29 novembre 2018 By C. C. Mahon

À cet instant le monde était encore serein, mais je n’y prêtais que peu d’attention.

J’étais trop occupée à aider Miss Marple à embarquer.

La vieille dame semblait trouver un peu trop instable le ponton de bois qui s’avançait sur le lac, au pied du casino.

Je la surnommai Miss Marple à cause de sa robe désuète, de son chapeau rond et de son sourire de grand-mère respectable. Je me présente toujours aux touristes que je guide dans mon bayou, mais rares sont ceux qui me rendent la politesse.

Ce jour-là mon groupe était maigre : Miss Marple et deux hommes. Le premier devint « John Wayne » à l’instant où je posai les yeux sur son visage buriné et sa dégaine de cow-boy. Le second, avec sa moustache surdimensionnée, sa chemise à fleurs et ses blagues vaseuses, fut baptisé « Magnum ».

La saison du Carnaval venait tout juste de débuter, et les affaires n’avaient pas encore repris. Quand ils eurent tous trois trouvé leur place dans notre barque, je larguai l’amarre et sautai à bord.

John Wayne regarda autour de lui.

– Qui va conduire le bateau ?

Le « bateau » était une longue barque à fond plat, munie d’un petit moteur. Un enfant de 5 ans pouvait le manœuvrer. C’est d’ailleurs à cet âge que j’avais pour la première fois pris la barre d’une embarcation similaire.

– Je pilote, répondis-je avec un sourire.

John me détailla de la tête aux pieds, et ne sembla pas convaincu.

– Malgré tout le respect que je vous dois, Mademoiselle…

– Devreaux.

– Mademoiselle Devreaux, reprit John, j’aurais préféré que quelqu’un d’un peu plus…

– « Masculin » ?

– « Expérimenté », soit présent.

Pas une semaine ne passait sans qu’un client comme John ne me fasse ce genre de remarque. Ce n’était pas toujours si franc. Mais les gens avaient du mal à concevoir qu’une petite rousse de 20 ans et d’un mètre 63 puisse connaître le bayou comme sa poche, et encore moins savoir y naviguer.

J’avais une idée assez précise de ce que je voulais répondre à Monsieur Wayne, mais la politesse que m’avaient inculquée mes parents me l’interdisait. Par tradition, le Cajun est poli. Il est fauché, aussi, et j’avais besoin de ce job pour payer mes études. Je plaquai donc mon meilleur sourire sur mon visage pour répondre :

– Le Golden Bayou se montre très exigeant quant à la qualité de ses employés. Soyez assuré que je possède les qualifications nécessaires.

Puis je me tournai vers mes deux autres passagers :

– Je m’appelle Prudence et je serai votre guide cet après-midi. Nous sommes partis pour deux heures d’exploration du Bayou Serpent… Je manœuvrai l’embarcation pour nous éloigner de la rive du lac. En Louisiane « bayou » signifie à la fois « rivière » et « forêt ». Ici l’eau est présente partout…

– Les moustiques aussi ! intervint Magnum.

Il abattit sa main droite sur son avant-bras gauche pour illustrer son propos. Miss Marple pouffa de rire.

Je guidai la barque vers l’embouchure du Bayou Serpent.

– Ce n’est pas encore la saison pour les moustiques, répondis-je avec un large sourire. Mais l’hiver a été très doux jusqu’à présent, et il y a toujours beaucoup de vie dans le bayou, dans l’eau comme dans l’air. Il y a des sprays anti moustiques dans la boîte bleue sous le banc du milieu.

J’avais pris soin de passer du répulsif sur mes bras et mes jambes, malgré les manches longues et le pantalon cargo que j’avais enfilés. Il faisait encore frais en cette fin janvier, surtout sous le couvert des grands cyprès. Mais ma peau de rousse semblait attirer les moustiques en toute saison.

La barque remontait le courant paisible du bayou, entre deux pans de forêt d’apparence impénétrable. L’odeur du produit anti moustique — citronnelle et insecticide — se mêlait aux senteurs riches et humides des mousses et des cyprès.

– Dans le bayou, les arbres ont les pieds dans l’eau, expliquai-je. Ils fournissent un abri à des centaines d’espèces d’oiseaux, mais aussi à de nombreux poissons…

– Et des « gators » ! reprit Magnum. Est-ce qu’on va en voir ?

Je hochai la tête. C’est toujours la même chose avec les touristes : vous pouvez leur faire entendre le chant des grenouilles et des criquets, leur montrer les espèces les plus rares d’échassiers et les mousses espagnoles qui pendent aux branches des cyprès anciens comme des draperies dans une cathédrale… tout ce qui intéresse les visiteurs ce sont les alligators. Depuis le temps, j’avais compris comment les satisfaire.

– Oui, nous allons voir des alligators, et de près. Je vous demande quelques minutes de patience. Profitez-en pour admirer la forêt que nous traversons ce moment, et la richesse de son écosystème…

Je continuai à débiter mon discours bien rodé tout en dirigeant la barque vers un bras particulier du bayou. L’atmosphère était calme, les grenouilles et les insectes chantaient, et des myriades d’oiseaux poussaient des cris perçants. Le ciel bleu se reflétait dans l’eau sombre, et les tâches de lentilles d’eau qui flottaient ici et là ressemblaient à des nuages vert vif.

Parvenue en vue d’un cyprès particulièrement imposant, je coupai le moteur et laissai l’embarcation filer sur sa lancée. J’attrapai la longue perche qui gisait au fond du bateau, me plaçai près du bord et guidai doucement la barque jusque sous les branches.

– Je vais vous demander de rester bien assis, et de ne pas faire de mouvements brusques…

En plus des touristes, ma barque contenait un élément crucial de mon travail : une glacière remplie de carcasses de poulets crus, fournie par les cuisines du casino. Je saisis la première par les pattes et la lançai à plusieurs mètres de la barque.

Dès que la carcasse creva la surface placide de l’eau, notre petit coin de rivière s’anima. Trois sillages convergèrent vers le point d’impact, comme si trois bateaux invisibles se précipitaient vers une collision inévitable. Un tourbillon et quelques éclaboussures trahirent la lutte qui se déroulait sous la surface. La seconde carcasse n’eut pas le temps d’atteindre l’eau : un alligator sortit la tête de la rivière, mâchoire grande ouverte, et attrapa l’appât au vol.

Derrière moi, les touristes poussèrent des exclamations.

Deux alligators sortirent la tête de l’eau pour se disputer le troisième poulet. Les clics des appareils photo recouvraient presque les grognements des prédateurs.

Je venais de lancer la dernière carcasse du jour quand un cri me fit sursauter. Je me retournai. Miss Marple avait porté les mains à sa bouche et les deux autres passagers la regardaient d’un air alarmé. Je me faufilai près de la dame.

– Quelque chose ne va pas ?

Pour toute réponse elle pointa un doigt tremblant vers l’espace entre le bord de la barque et le tronc du cyprès. Je fronçai les sourcils. Au lieu de la surface plane de la rivière, couverte de lentilles d’eau vert tendre, des remous agitaient les eaux noires alors qu’un groupe de serpents d’eau se tortillait frénétiquement entre deux racines.

– Qu’est-ce que c’est que ça ? s’écria la vieille dame d’un air dégoûté.

– Juste un nid de serpents. Il y en a tellement ici que le bayou leur doit son nom… Mais ne vous inquiétez pas, vous ne risquez rien dans la barque : ils n’ont pas de ticket pour monter à bord.

Quelques rires accueillirent ma remarque.

Je retournai ramasser ma glacière de l’autre côté de la barque, vidai dans la rivière le fond de jus répugnant qui suintait toujours des poulets crus, et replaçai le récipient sous un banc. Le soleil approchait de l’horizon. Je frissonnai — la température baissait vite une fois le soleil hors de vue — et plantai la perche entre deux racines du cyprès. Une bonne poussée suffit à renvoyer la barque vers le milieu du bras de rivière.

Nous remontions paisiblement le courant alors que la forêt se préparait à saluer la fin du jour. Les crépuscules d’hiver n’avaient pas la flamboyance des couchers de soleil estivaux, mais j’aimais leur retenue, leur pudeur.

Je coupai à nouveau le moteur et nous laissai dériver. À cet endroit un bouquet d’arbres, des tupelo particulièrement imposants, faisait toujours la joie des photographes. Le soleil toucha la cime des arbres et mes touristes dégainèrent leurs appareils.

– Qu’est-ce que c’est ? demanda soudain Miss Marple. Ce « trou » dans la forêt ?

– C’est le tracé du pipeline 66, expliquai-je. Il traverse presque tout l’état d’ouest en est, jusqu’à La Nouvelle-Orléans. La compagnie qui l’exploite coupe tous les arbres à dix mètres autour du tuyau, de peur que les racines ne l’endommagent.

– Comme il serait terrible que du pétrole vienne souiller ce magnifique endroit, acquiesça Miss Marple.

– C’est du gaz naturel, précisai-je. On en voit parfois des bulles qui remontent dans les flaques au-dessus du tuyau.

John Wayne émergea de derrière son appareil photo :

– Une étincelle mal placée et cet endroit part en flammes. Sans parler du gâchis d’énergie. Ces gens ne savent pas gérer une entreprise…

Il se lança dans une longue tirade sur les bonnes pratiques à appliquer à l’industrie des hydrocarbures. Miss Marple hochait la tête à intervalle régulier, mais son regard avait dérivé vers la forêt et les derniers rayons du jour.

Le soleil s’était retiré, et nous allions faire de même. Je remis le moteur en route, et l’univers trébucha.

C’est une étrange chose à dire, que l’univers peut trébucher, mais il est encore plus étrange de le vivre. Comme si le monde autour de moi avait raté une marche.

Je me tournai aussitôt vers le pipeline et la station de compression qui se trouvait à moins de deux kilomètres du bayou. Aucune trace d’explosion, pas de flammes à l’horizon. D’ailleurs l’obscurité était totale. Plus de crépuscule à l’ouest, aucune étoile au-dessus de nos têtes, et même les lumières de Lake Louis, à quelques kilomètres au sud, avaient disparu. Les bruits — oiseaux, grenouilles, notre moteur — s’étaient tus. Mon cœur battait trop fort dans ma poitrine.

Une fois.

Deux fois.

Trois fois.

Les lumières revinrent et mes oreilles se débouchèrent. Un tintamarre de questions m’assaillit. Mes passagers avaient fait la même expérience que moi.

Il me fallut quelques instants pour reprendre pied et maîtriser ma peur. La lumière du couchant était revenue. J’étais au cœur de mon bayou bien aimé, celui où j’avais grandi. Rien ne me menaçait. Mais…

– J’ignore ce qui vient de se passer, avouai-je. Nous en apprendrons peut-être plus une fois rentrés au casino.

Personne n’en savait plus.

Le lendemain la presse locale rapporta des témoignages de personnes qui avaient ressenti l’étrange phénomène dans un rayon de dix kilomètres autour de la ville, mais aucune explication. Les médias nationaux mentionnèrent à peine l’épisode, comme un racontar de péquenaud alcoolique. Les jours suivants, Internet s’empara de l’épisode, et à la fin de la semaine les théories les plus loufoques constellaient la Toile. Débarquement extra-terrestre ou explosion d’une plateforme en mer « couverte » par un lobby pétrolier tout-puissant ? Chacun pouvait choisir son camp.

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Secrets Magiques Chapitre 1

29 novembre 2018 By C. C. Mahon

La loi fiscale du Nevada était plus complexe que certains grimoires du Moyen Âge, et rédigée dans un langage plus obscur que l’anglais du 5e siècle.

J’avais ouvert le Club 66 depuis quelques mois à peine, et cette première déclaration de revenus me donnait la migraine. J’aurais dû engager un comptable. Mais comment lui expliquer la petite fortune payée à la Guilde des Sorciers avant même le début des travaux d’aménagement du club ? Quel genre d’établissement a besoin de sept couches de protection magique sur la moindre surface, fondations comprises ? Un night-club destiné à recevoir les créatures surnaturelles, et dont la propriétaire n’avait aucune intention de se trouver entraînéedans les conflits locaux. Les vampires et les métamorphes à couteaux tirés ? Ils avaient intérêt à laisser les couteaux à l’entrée. Les sorciers en froid avec les goules ? Pas mon problème : les sceaux apposés à toutes les entrées forçaient les clients à laisser leurs pouvoirs sur le seuil, ou à souffrir de désagréables conséquences s’ils tentaient d’en faire usage chez moi.

Et pour les menaces qui ne relevaient pas du surnaturel, j’avais Nate, mon videur. Lui, au moins, je pouvais facilement justifier son salaire. Culminant à plus de deux mètres, Nate était bâti comme un ours. D’ailleurs il se transformait en plantigrade plusieurs nuits par mois pour aller courir dans le désert. La prochaine fois qu’un poivrot vous jurera avoir croisé un grizzly près de Vegas, ne vous payez pas sa tête : le pauvre type l’a échappé belle.

Deux coups secs frappés à la porte de mon bureau me tirèrent de mes réflexions, et Nate fit son apparition. Avec ses longs cheveux blonds attachés sur la nuque et sa chemise impeccablement repassée, il avait l’air d’un Viking déguisé pour aller à la messe. Si je n’avais pas été sa boss, j’aurais pu craquer pour son numéro de gros bras tiré à quatre épingles. Si je n’avais pas été sa boss et que je n’avais pas appris ma leçon concernant les hommes. Croyez-moi, Nate pouvait rouler des mécaniques et battre de ses longs cils autant qu’il le voulait, je n’étais pas prête à lui tomber dans les bras. Mais pour l’instant il ne battait pas des cils. Son front était plissé, son expression était presque aussi sombre que son costume noir, et son regard brun trahissait son inquiétude :

– Erica, je suis désolé de te déranger. C’est à propos d’Agathe.

Nate était pire qu’une maman poule : il s’en faisait toujours pour quelqu’un.

– Qu’est-ce qu’il lui arrive cette fois ? Ne me dis pas qu’elle est retournée chez son imbécile de petit copain. Comment il s’appelle ? Eduardo ?

– Ernesto. Il dit qu’il ne l’a pas vue depuis des semaines. Elle aurait dû arriver ici il y a deux heures pour réceptionner la livraison de liqueurs. Impossible de la joindre. Je suis passé chez elle, mais il n’y a personne. Je me suis chargé du livreur et j’ai préparé le bar, mais ça ne ressemble pas à Agathe de nous planter comme ça.

Je consultai l’horloge murale. Le club ouvrait dans trente minutes, et sans barmaid, nous ne pouvions tout simplement pas recevoir de clientèle. Agathe le savait aussi bien que moi. Depuis que je l’avais embauchée, la jeune dryade ne m’avait jamais laissée tomber. Même quand son salaud de petit copain la tabassait, elle venait bosser avec ses hématomes.

Je me levai en grondant :

– Si ce fils de goule a touché à un seul de ses cheveux…

Nate secoua la tête :

– Je suis passé le voir à son boulot. Il dit qu’il n’y est pour rien, et je le crois. Après la raclée que je lui ai mise la dernière fois, il a trop la trouille pour approcher Agathe.

– Nate, tu as une gueule de catcheur et un cœur de midinette. Les sales types dans son genre se croient plus malins que le reste des humains. Combien tu paries qu’il a supplié Agathe de lui redonner sa chance ?

– Je ne parie plus, tu le sais.

– Et tu fais bien, parce que tu perdrais à coup sûr. Je vais parler à cet Ernesto. Toi, vois si Barbie peut venir bosser ce soir, et mets-la au bar.

– C’est déjà fait. Elle gueule qu’elle n’a pas la place de se retourner derrière le comptoir à cause de ses ailes.

– Évidemment qu’elle gueule. Tu attendais quoi de la part d’une harpie ? Elle n’essaie pas d’arrêter de fumer cette semaine, au moins ? Tu sais comment elle est quand elle n’a pas sa dose de tabac.

Nate plongea la main dans la poche de sa veste, et produisit une petite boîte en carton : des patchs de nicotine.

– J’ai la situation en main. Est-ce que tu veux que je t’accompagne voir Ernesto ? Je sais que tu n’aimes pas sortir seule.

Je le fusillai du regard :

– C’est bon, je ne suis pas une dryade, je sais me défendre.

Voilà une raison supplémentaire pour ne pas céder au charme de Nate : ce type persistait à me traiter comme une poupée de porcelaine, ce qui me donnait invariablement envie de lui taper dessus. Et la violence n’a pas sa place dans une relation, qu’elle soit sentimentale ou professionnelle. C’était d’ailleurs ce que j’allais de ce pas expliquer à cette raclure d’Ernesto. À coup de pelle dans les dents, si nécessaire.

Nate leva les mains en signe d’apaisement et recula pour me laisser franchir le seuil du bureau.

Je fermai la porte à double tour avant de traverser la réserve, les salons particuliers et l’arrière-salle. Sièges de velours violet, tentures savamment disposées, lumières tamisées : tout était en ordre pour recevoir nos habitués.

Le Club 66 n’était pas de ces boîtes de nuit où la musique vous assomme à grands coups de décibels. Nous ne recevions aucun DJ. Les touristes ne venaient pas faire la fête chez moi. Non, j’avais créé ce club comme un havre de paix pour créatures surnaturelles. Une oasis de calme au milieu de la ville la plus festive d’Amérique du Nord. Parce que j’étais venue me perdre dans la foule et la fureur de Vegas, mais que j’avais besoin de mon petit coin de calme.

Un fracas de verre brisé m’accueillit dans la salle principale, suivi d’une bordée de jurons.

Derrière le comptoir, Barbie leva les bras au ciel et se tourna vers moi. Ses grandes ailes rouges (elle se teignait les plumes) frôlèrent dangereusement les étagères de verre alignées derrière le bar. Une partie des bouteilles exposées là avaient déjà succombé à la présence de la harpie.

– Je suis désolée, patronne. C’est trop étroit ici. C’est fait pour une dryade, pas pour moi et mes grosses ailes. Et si on mettait Gertrude au bar ?

– La trolle qui ne connaît pas la différence entre un whiskey et un bourbon ? Tu veux couler le club ?

Gertrude était la dernière arrivée dans l’équipe. Une gentille fille décidée à bien faire, mais pas la plus maline de la classe.

Barbie poussa un soupir à fendre l’âme, et désigna le sol à ses pieds. Je m’approchai pour me pencher par-dessus le comptoir. Une demi-douzaine de bouteilles rares gisaient en morceaux sur le tapis antidérapant.

– Rangez les bouteilles dans la réserve, dis-je, et démontez les étagères. Gardez juste les alcools les plus vendus, ceux qui sont dans les placards. Pour ce soir, les clients devront se passer des cocktails exotiques. On remettra tout en place quand Agathe sera de retour.

– Pétez une dent à Ernesto de ma part, vous voulez bien ? fit Barbie.

– Je croyais que tu avais fait vœu de non-violence, intervint Nate.

– Moi, oui, répondit Barbie. Mais pas la patronne tout de même ?

J’assurai la harpie de ma motivation à péter plusieurs des dents d’Ernesto, donnai quelques consignes supplémentaires à Nate, et quittai le Club 66.

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L’écrivain nomade

13 novembre 2018 By C. C. Mahon

L’image d’Épinal de l’écrivain, c’est cette personne assise à un bureau, penchée sur son clavier. Mais la vie ne nous laisse pas toujours le temps de travailler dans ces conditions. Pas de panique ! Il est tout à fait possible d’écrire un roman sans toucher au clavier.

Pourquoi ne pas écrire dans le métro?

Il y a quelques années, juste après la naissance de ma fille, je ne pouvais rêver d’avoir le luxe de m’asseoir à mon bureau pour écrire. Par contre, j’avais de longues plages horaires pendant que je donnais le sein à mon bébé. Alors, avec mon iPhone et mon pouce droit, j’ai rédigé un roman. Oui, oui ! Tout un roman, sur mon iPhone. Quelque temps plus tard je le publiais sous le titre « Lou et l’invasion magique ». Ce texte n’est pas un cas isolé. Quelques années plus tôt, j’avais par exemple rédigé une partie de mon Nanowrimo, toujours sur mon iPhone, en courant au parc. Oui, en courant : sans m’arrêter, avec un œil sur le clavier et l’autre sur le chemin histoire de ne pas me casser la figure. C’est un peu acrobatique et approximatif, mais ce n’est pas de ma faute si l’exercice physique fait circuler le sang jusque dans mon cerveau.

Sans aller jusqu’à ces cas — avouons-le un peu extrêmes — il est tout à fait possible d’écrire quand on n’est pas à son bureau. On peut le faire matin et soir dans les transports en commun. On peut noter quelques phrases pendant qu’on fait la queue dans un magasin ou une administration.

Il existe des applications pour smartphone destiné à l’écriture. Mais on peut tout simplement s’envoyer des e-mails. L’avantage c’est que le logiciel de messagerie enregistre les brouillons mêmes quand on n’a pas de réseau pour s’envoyer le message. Et comme ça il est très facile de récupérer le texte sur son ordinateur pour le coller dans un document général.

On peut aussi dicter : s’enregistrer pendant une balade en forêt ou une séance de jardinage, puis tout transférer sur son ordinateur et laisser un logiciel transcrire le tout. La reconnaissance vocale nous fait parfois de jolies blagues, mais ça nous fait quand même gagner un sacré temps.

Notre vie regorge de petites poches de temps que nous utilisons rarement. Si vous voulez enfin achever ce roman qui vous tient à cœur, pensez à les exploiter.

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Fantastique et associés

13 novembre 2018 By C. C. Mahon

Fantastique, Young Adult, Urban fantasy, fantasy contemporaine et romance paranormale: c’est quoi la différence ? Bit Lit, Witch Lit, c’est quoi?

Les genres de l’imaginaire sont variés et souvent méconnus. Petit tour d’horizon non exhaustif de quelques genres littéraires populaires.

Commençons par la plus généraliste de ces étiquettes: le Young Adult, aussi connu par son petit nom, YA. (Prononcer « Ouailles è » pour faire plus classe.)
Ce n’est pas un genre à proprement parler, mais le type de lecteurs auxquels s’adressent ces romans. Généralement des jeunes de 13/14 ans à 20 et quelques années. On trouve de tout en YA: de la romance, des drames, des critiques sociales… La seule contrainte, c’est d’adapter le contenu au public, et donc d’éviter la pornographie ou le gore. Ce qui n’empêche pas les auteurs de YA de traiter de sujets lourds, comme la mort (Nos Étoiles Contraires) ou la violence raciale (The Hate U Give). Il y a du fantastique en YA comme ailleurs.

OK, mais ce fantastique, qu’est-ce que c’est? Dans sa définition standard, c’est le genre « noble » de l’imaginaire. Celui qu’on étudie pour le bac de français, avec Le Horla ou La Peau de Chagrin. On se souvient tous de la définition apprise par coeur: « l’intrusion du surnaturel dans un récit réaliste ». Le fantastique peut d’ailleurs se mêler à d’autres genres pour les pimenter, comme c’est le cas pour les thrillers fantastiques par exemple.

Depuis le 19e siècle, le fantastique s’est structuré en genres codifiés. En général, ces genres ne traitent pas de « l’intrusion » du surnaturel dans notre quotidien, mais des relations entre un monde magique bien installé dans le réel et les humains qui ignorent son existence.

La fantasy contemporaine se déroule dans notre monde, à notre époque. Mais avec un petit « plus. » C’est Harry Potter qui doit faire face à la maltraitante de sa famille d’accueil ET à la menace d’un sorcier maléfique. Ça reste un genre assez « accueillant », dans lequel on peut classer aussi l’urban fantasy ou la romance paranormale.

La romance paranormale (PNR pour les intimes): tout est dans le nom, ou presque. Les règles du surnaturel viennent encore compliquer une intrigue romantique forcément difficile à la base. (Si la relation n’a pas de problème, on n’écrit pas un roman mais un faire-part.)

L’urban fantasy (c’est mon chouchou ^^): généralement située dans notre monde contemporain, l’urban fantasy fait de la ville un personnage à part entière. Souvent inspirée du roman noir, elle remplace le détective privé par un sorcier ou une créature surnaturelle qui évolue dans différentes couches des sociétés humaines et magiques. Et parce qu’on est au 21e siècle, ce héros est généralement une héroïne au caractère bien trempé. C’est mon genre de prédilection. Parce que je préfère utiliser des métaphores pour traiter des facettes trop dures de la réalité, parce que tout va toujours mieux avec une bonne dose de magie pour régler — ou compliquer — les problèmes du quotidien… Et je vous ai parlé des héroïnes au caractère bien trempé?

L’urban fantasy, c’est le fantastique remis au goût du jour, le roman noir éclairé par la magie, le fantastique qui suinte entre les pavés. C’est l’impression qu’il n’est pas besoin de partir loin pour s’évader, et qu’il y a autre chose à découvrir sous nos vies en apparence mornes.

Et la bit-lit? Elle tient un peu de la fantasy contemporaine (pour le cadre général et les créatures surnaturelles), un peu de l’urban fantasy (pour les héroïnes fortes) et un peu de la romance paranormale (pour les intrigues sentimentales). C’est un terme popularisé en France par l’éditeur Bragelonne, qui l’a même déposé en tant que marque.

Et parce qu’il n’y a pas que les hommes à crocs dans la vie, ces dernières années ont vu l’émergence d’un autre label: la witch-lit: là notre héroïne est une sorcière. La sorcière, c’est l’archétype de la femme indépendante et savante, celle qui ne se définit pas par rapport à un homme, celle qui ne se soumet pas, et qui par son savoir est à même de manipuler les forces de l’univers. Autant dire que les sorcières sont les femmes dont notre époque a besoin, et qu’il est fort à parier que ce genre littéraire a de beaux jours devant lui.

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J’ourdis et j’en ai même pas honte.

12 novembre 2018 By C. C. Mahon

Dans la vie, il y a deux sortes d’écrivains : les « plotters » et les « pantsers », ceux qui planifient et ceux qui se laissent entraîner au fil de la plume.

« Plotters versus pantsers », c’est une nouvelle guerre de religion. Certains allant même jusqu’à affirmer que leur méthode est la seule apte à produire un contenu littéraire de qualité. Je ne suis pas d’accord, et Charlotte Munich non plus.

Charlotte ne planifie pas. Si vous voulez en savoir plus sur son style d’écriture, je vous conseille d’aller faire un tour sur son blog.

Pour ma part, je suis incapable d’écrire sans savoir où je vais. J’aime avoir un plan plus ou moins détaillé avant de me lancer dans la rédaction d’un roman. Je dis « plus ou moins détaillé » parce que le niveau de précision de mon plan varie à chaque nouveau projet. Parfois je sais ce qu’il va se passer dans chaque chapitre, chaque scène. Pour d’autres projets je me contente de trois grandes idées : d’où part mon personnage, où il arrivera, et quel virage il devra prendre pour cela.

Si, en 10 ans de planification et de rédaction de romans je ne suis pas parvenue à une méthode fixe, c’est parce que chaque projet est unique, et que j’évolue en permanence en tant qu’écrivaine.

Et tout comme je suis persuadée qu’il n’existe pas pour moi de formule magique, je crois profondément que « plotters versus pantsers » est un faux débat qui nous fait à tous perdre un temps précieux. En matière d’écriture, les dogmes sont inutiles. Seule recommandation : chercher ce qui fonctionne le mieux pour soi, et l’adapter à chaque nouveau projet. Et surtout, surtout, ne pas se sentir obligé d’appliquer à la lettre la méthode de tel ou tel auteur. C’est ça aussi, la liberté de l’indé.

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